L’Assemblée Constituante supprima les ordres religieux le 16 février 1790, ce qui entraîna le départ des religieux et religieuses qui assuraient l’enseignement à Dardilly. Elle décréta la Constitution Civile du Clergé le 12 juillet 1790. Sanctionnée contre son gré par Louis XVI, promulguée le 24 août 1790, elle réorganisait unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église (l’Église constitutionnelle). Dans ce cadre les charges de curé et d’évêque devenaient des charges électives ; les non-catholiques devaient participer à ces élections !

Pour briser les résistances, il fut décidé que tous les membres du clergé prêteraient serment d’adhérer à cette nouvelle constitution civile du clergé : « Par décret de l’Assemblée nationale, et conformément à la constitution civile du clergé en date du 24 août 1790, tous les ecclésiastiques prêteront le serment exigé un jour de dimanche après la messe, en présence du conseil général de la commune et des fidèles. Ceux qui ne le prêteront pas seront réputés avoir renoncé à leur office et il sera pourvu à leur remplacement. »

Le serment était le suivant :

« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »

Le serment obligeait prêtres et évêques à maintenir la nouvelle organisation du clergé.

Le 7 janvier commencèrent les prestations de serment dans les provinces. Elles se sont échelonnées tous les dimanches, de janvier et février 1791, à des dates différentes selon les diocèses. La quasi-totalité des évêques, sauf quatre, et la moitié des curés, refusèrent alors de prêter serment. Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon décida d’émigrer. Il fut remplacé par Mgr Lamourette, élu évêque du département de Rhône et Loire.

L’abbé Jacques Rey, curé de Dardilly depuis 39 ans, prêta serment. C’était un érudit, gagné aux idées nouvelles …

Fidèles à leur curé, les habitants de Dardilly continuèrent à fréquenter l’église St Pancrace. Le petit Jean-Marie Vianney y assistait à la messe. Les cérémonies religieuses l’enchantaient. Plus tard, à Chante Merle ou à Pré Cusin, il organisait des petites cérémonies avec ses compagnons. Il dira plus tard « quand j’allais aux champs, nous faisions nos processions, j’étais toujours le curé ». Ses compagnons de l’époque ajoutent : « On faisait des prières, on chantait. Des fois, il prêchait aux autres. Il avait de la peine à se faire écouter. Et quand on sonnait une messe à la paroisse, il recommandait la garde de ses bestiaux aux autres et s’en allait à la messe. »

La réorganisation civile de l’église de France fut condamnée par le pape Pie VI, le 10 mars 1791, ce qui provoqua la division du clergé français en clergé constitutionnel et clergé réfractaire. Monsieur Rey, comprit alors sa faute. Il cessa d’exercer son ministère de curé, mais resta sur place quelques temps, disant la messe dans une maison particulière. Il se cacha ensuite à Lyon, avant d’émigrer. Un nouveau curé fut élu, mais sa présence ne laissa guère de souvenirs, pas même celui de son nom …

Une parente d’Ecully ouvrit les yeux de la famille Vianney : « Ah ! Mes amis, que faites-vous ? leur dit-elle en apprenant qu’ils allaient à la messe du jureur. Les bons prêtres ont refusé le serment. Ils sont chassés, persécutés, obligés de fuir. Heureusement, à Ecully, il y en a qui sont restés parmi nous. C’est à ceux-là qu’il faut s’adresser. Votre curé nouveau s’est séparé par son serment de l’Eglise catholique ; il n’est pas votre pasteur ; vous ne pouvez pas le suivre. »

Marie Vianney dut expliquer aux siens la faute de ce prêtre ; car le petit Jean-Marie « montra son horreur pour le péché du jour où il se mit à fuir le curé assermenté. »

Dès lors, les fidèles de Dardilly entrèrent dans une sorte de confinement qui dura presque 10 ans.

En 1793, Lyon s’insurgea contre le gouvernement révolutionnaire. La Convention Nationale envoya , pour reprendre la ville, différents corps d’armée totalisant 65.000 hommes environ. La route du Bourbonnais, passant à Dardilly resta quelque temps le seul passage libre. Le siège dura du 8 août au 8 octobre 1793. Fin octobre, la Convention envoya Joseph Fouché (ancien séminariste !) exécuter le décret ordonnant la destruction de Lyon (devenue Ville-Affranchie). Il fit preuve d’une grande cruauté (plus de 1600 exécutions). Il entreprit alors une campagne de déchristianisation de la région. Les églises furent fermées, toute cérémonie interdite. L’église de Dardilly fut fermée, bien qu’elle eût un curé jureur. Mgr Lamourette fut arrêté, jugé et guillotiné.

 

La suite est empruntée au livre de Pierre Descouvemont « L’univers familier du curé d’Ars » :

Ancien chanoine de Saint Nizier, l’abbé Linsolas est nommé en décembre 1792 vicaire général du diocèse de Lyon. Avec l’approbation de Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon qui réside à Lübeck, à douze cent kilomètres, il reconstitue un conseil épiscopal en nommant une dizaine de vicaires généraux, qui vont devenir vingt-cinq quand il aura mis en place une pastorale tout à fait originale, adaptée à la situation dramatique dans laquelle se trouvent les prêtres qui ont refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé.

A partir de 1794 en effet, il met en place une organisation qui s’inspire des missions lointaines, notamment de celles qui ont permis l’évangélisation du Tonkin. Grâce à une correspondance qui passe par la Suisse et qui utilise un langage codé et toute une liste de pseudonymes, il maintient le contact avec son archevêque, mais c’est lui qui reste le pivot d’un système qui va permettre à 677 prêtres réfractaires de poursuivre leur ministère clandestin à travers le diocèse, 186 d’entre eux étant au service de la ville de Lyon.

Le diocèse est divisé en vingt-cinq missions. Chacune d’elles est dirigée par un vicaire général qui organise les déplacements des prêtres affectés à cette mission. Ces prêtres ne sont pas curés de paroisse, puisqu’ils ne cessent d’aller d’un endroit à un autre sous les déguisements les plus hétéroclites et les surnoms les plus fantaisistes. Les métiers qui permettent de nombreux déplacements sont les plus indiqués : ouvriers agricoles, commerçants, colporteurs. Monsieur Balley a des habits de menuisier et Monsieur Groboz une blouse de cuisinier. Il leur arrive de bénir un mariage, revêtus d’un tablier de peau.

Dans chaque village se trouve un chef laïc, nommé par le vicaire général responsable de la mission. Ce chef anime la paroisse en l’absence du missionnaire. Il préside les assemblées du dimanche, fait dire le chapelet, tient dans un lieu secret les registres de catholicité. Il veille à la sécurité du culte et des missionnaires : les célébrations doivent toujours être extrêmement discrètes et se dérouler de nuit en cas de danger. Il faut absolument éviter les grands rassemblements. En périodes difficiles, l’abbé Linsolas ne couche jamais feux nuits de suite dans le même lieu.

Quant aux catéchistes, ils préparent la venue du missionnaire dans les paroisses où il n’est pas encore allé, l’accompagnent d’un village à l’autre pour lui faire éviter les dangers, ondoient les nouveau-nés et assurent l’instruction religieuse des enfants et la visite aux malades.

Un système astucieux et courageux qui a permis le maintien d’une vie chrétienne fervente en pleine Terreur à travers tout le diocèse.

 

Le premier contact du jeune Jean-Marie Vianney avec le sacerdoce avait donc été plutôt malheureux : sa tante d’Ecully, ayant ouvert les yeux de la famille il cessa d’assister à la messe du curé jureur. Les Vianney se tournèrent vers Ecully où l’église réfractaire s’organisait. Suivons le récit de Daniel Pézeril (« Pauvre et saint curé d’Ars ») : « Dès mai 1794, avant même la décrue de Thermidor, s’y cachaient deux sulpiciens chassés de leurs séminaires, et un prêtre séculier qui deviendra un jour le secrétaire du cardinal Fesch – M. Groboz. Deux sœurs de Saint-Charles, apparemment laïcisées y avaient trouvé logis (NDLR : les sœurs Combes et Deville). Avec une incroyable décision, ces femmes, qui savaient que la charité tient plus à la tête qu’à la cornette, prirent les paroissiens en main et rassemblèrent leurs initiatives jusqu’alors désordonnées. Un îlot de résistance spirituelle était né auquel furent agrégées les familles les plus chrétiennes de Dardilly. ”On voyait les paysans se concerter, raconte soixante ans plus tard l’abbé Monnin, se lier sous le sceau du secret, organiser la surveillance du culte, l’entretien et la protection des missionnaires. Ils se réunissaient dans les bois ou dans les fermes écartées.” Il leur arrivait, par les temps les plus rigoureux, de parcourir à pied de grandes distances. Certains jours favorables, des factionnaires s’échelonnaient le long des chemins et, sous leur garde, la petite communauté se risquait à chanter des cantiques ou à développer de nouveau des solennités interdites. ”Pendant la Révolution, quand on savait qu’un prêtre devait célébrer les saints mystères, rappelait plus tard le vieux curé, tout le monde se disait : il y a une messe, allons-y ! Sa mère, en effet n’y manquait jamais, souvent toute la famille l’accompagnait.”»

C’est en 1797 que lors de son passage à la ferme Vianney, M. Groboz (habillé en cuisinier) demanda au petit Jean-Marie, âgé de 11 ans, depuis combien de temps il ne s’était pas confessé. Il ne s’était jamais confessé ! Plus tard, le saint curé racontait « Je me rappelle toujours ma première confession, c’était à la maison, au pied de notre horloge ». L’abbé Groboz exigea qu’on le mît en pension chez ses grands parents d’Ecully pour qu’il suive les catéchismes de première communion. »

C’est à l’occasion de ces cours de catéchisme que Jean-Marie apprit quelques rudiments de français. Jusque là, il ne parlait que patois.

Le P. Pézeril poursuit «  Malgré l’époque troublée, ces catéchismes duraient deux ans. Les étonnantes sœurs s’en chargeaient d’abord, elles passaient ensuite la main aux prêtres. On imagine, pour un enfant de cet âge, le prix et le sombre éclat de ces réunions, qui se tenaient tantôt dans une maison, tantôt dans une autre, et toujours à la chandelle, la nuit. C’est au sein de cette nuit que Jean-Marie apprit à découvrir les mystères de la foi. La communion eut lieu en 1799 -il avait treize ans- ” au temps des fauchaisons ”, se souvenait seulement le bon curé. (NDRL : C’était l’abbé Groboz qui officiait). La porte de la demeure qui servait de chapelle avait été encombrée par des charrettes de foin, afin de donner le change et de prévenir un coup de main. ” J’étais présente, raconte Marguerite (NDRL : sa jeune sœur), mon frère était si content qu’il ne voulait pas sortir de la chambre.”

Quatre années plus tard, la paix religieuse revenue avec la signature du Concordat de 1802, l’évêque, pour récompenser la paroisse d’Ecully, en nommait curé un réfractaire, ancien génovéfain, l’abbé Balley. Le paysan de dix-huit ans va trouver en lui le guide de sa vie. En attendant, il demeure à la ferme et continue son travail. »

 

Le P. Pézeril poursuit «  Malgré l’époque troublée, ces catéchismes duraient deux ans. Les étonnantes sœurs s’en chargeaient d’abord, elles passaient ensuite la main aux prêtres. On imagine, pour un enfant de cet âge, le prix et le sombre éclat de ces réunions, qui se tenaient tantôt dans une maison, tantôt dans une autre, et toujours à la chandelle, la nuit. C’est au sein de cette nuit que Jean-Marie apprit à découvrir les mystères de la foi. La communion eut lieu en 1799 -il avait treize ans- ” au temps des fauchaisons ”, se souvenait seulement le bon curé. (NDRL : C’était l’abbé Groboz qui officiait). La porte de la demeure qui servait de chapelle avait été encombrée par des charrettes de foin, afin de donner le change et de prévenir un coup de main. ” J’étais présente, raconte Marguerite (NDRL : sa jeune sœur), mon frère était si content qu’il ne voulait pas sortir de la chambre.”

Quatre années plus tard, la paix religieuse revenue avec la signature du Concordat de 1802, l’évêque, pour récompenser la paroisse d’Ecully, en nommait curé un réfractaire, ancien génovéfain, l’abbé Balley. Le paysan de dix-huit ans va trouver en lui le guide de sa vie. En attendant, il demeure à la ferme et continue son travail. »